Monsieur le Premier Ministre, à l’aube des festivités de la Fête nationale, nous savons que vous vous ferez le porte-étendard de l’identité québécoise et que vous en ferez un moteur de fierté nationale. Pourtant, Culture Capitale-Nationale et Chaudière-Appalaches constate que, pour les organismes qui mettent en valeur l’histoire, l’identité et le patrimoine québécois et qui œuvrent au quotidien à sa promotion sur les deux territoires, la situation est inquiétante et le cœur n’est pas à la fête.
Les régions de la Capitale-Nationale et de la Chaudière-Appalaches comptent 26 institutions muséales agréées, soit 27 % du total de celles qui reçoivent un soutien financier du ministère de la Culture et des Communications par le Programme d’aide au fonctionnement des institutions muséales (PAFIM). En 2021-2022, le montant de l’aide qui leur a été attribué représente 20 % de l’enveloppe totale du Québec, soit 2 731 544 $ sur 13 110 916 $. Si cette somme peut paraître élevée, elle ne représente que 105 000 $ en moyenne par institution et elle doit contribuer à l’entretien des 26 bâtiments (souvent classés), au renouvellement des collections, aux salaires des membres du personnel ainsi qu’à tous les autres frais relatifs au bon fonctionnement des organisations. Convenez avec nous, Monsieur le Premier Ministre, qu’un si faible investissement est bien peu cohérent avec la volonté gouvernementale, maintes fois répétée, de promouvoir l’identité culturelle québécoise et de contribuer au sentiment de fierté collective partout sur le territoire.
Cette situation est d’autant plus inquiétante pour les acteurs et actrices du milieu qui constatent avec consternation que le projet du réseau des Espaces bleus sera doté d’un budget qui dépasse largement leurs plus grands espoirs en matière de financement. Ainsi, l’enveloppe de démarrage du réseau est 95 fois plus élevée que l’aide annuelle que reçoivent les musées agréés de nos deux régions. À lui seul, l’Espace bleu du Séminaire de Québec, la tête du réseau, exigera 4,4 millions par année de frais relatifs au fonctionnement, soit pratiquement le double de l’aide accordée aux 26 musées de nos territoires. Et encore, pour recevoir cette aide, ils doivent faire la preuve d’un autofinancement à la hauteur de 40 %.
Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre et faute de pouvoir rétribuer de manière compétitive leur personnel salarié, ces musées sont privés des moyens mêmes par lesquels ils pourraient développer des activités leur permettant cet autofinancement. On assiste ainsi à un roulement de personnel sans précédent, aux démissions de directions générales à bout de souffle et à d’éventuelles fermetures.
Quant à elles, les institutions patrimoniales telles que les sociétés d’histoire, les organismes de mise en valeur du patrimoine vivant ainsi que les musées agréés qui ne remplissent pas les critères d’admissibilité du PAFIM ne sont pas soutenus au fonctionnement et doivent se baser sur un financement non récurrent. Cette situation d’instabilité financière provoque un manque de vision et affecte largement le développement à long terme de ces organismes.
Le patrimoine vivant doit quant à lui faire l’objet de politiques et de stratégies propres qui sont adaptées aux réalités de la culture traditionnelle (folklore). Depuis plusieurs années, les organismes qui œuvrent dans le secteur des traditions culturelles demandent qu’une stratégie nationale spécifique en patrimoine vivant soit mise en place, comme en témoignent les nombreux mémoires déposés par le Conseil québécois du patrimoine vivant. En 2019, votre gouvernement annonçait le déploiement d’une « stratégie en patrimoine vivant ». En 2022, elle n’est toujours pas livrée. Il nous semble évident que, si votre gouvernement est attaché à la question de l’identité québécoise, les travaux doivent être repris, en prévoyant un soutien conséquent aux organismes de la Capitale-Nationale et de la Chaudière-Appalaches qui font rayonner notre culture « trad » tant ici qu’à l’international.
Le cas de la Côte-de-Beaupré
La Côte-de-Beaupré, grenier de l’Amérique française, recèle de joyaux patrimoniaux historiques, paysagers, bâtis et immatériels (Gilbert 2003 : 19). Du musée Aux trois couvents vers la Grande ferme, la Côte-de-Beaupré, tout comme l’Ile d’Orléans et la Côte-de-Beaupré, « [est] considérée comme la terre d’accueil des familles souches québécoises, comme le berceau de la colonisation française en Amérique du Nord » (Buteau 2003 : 27). Pourtant, la Côte-de-Beaupré nous permet d’observer un microcosme d’une situation qui s’applique tristement au niveau national. À l’heure actuelle, plusieurs conseils d’administration sont incomplets, les postes de direction générale ne sont pas pourvus, les budgets annuels trop serrés, et ce, sans compter la difficulté à recruter du personnel pour animer les lieux. Bref, il y a une urgence de passer à l’action afin de sauver ces petites institutions qui composent toute la diversité de notre paysage patrimonial.
Monsieur le Premier Ministre, si le patrimoine vous tient à cœur, si la promotion de l’identité québécoise vous est chère et si la fierté est au cœur de vos préoccupations, vous conviendrez avec nous qu’un réinvestissement majeur est urgent pour venir à la rescousse de nos institutions régionales et reconnaître à sa juste valeur tout le travail de celles et ceux qui portent à bout de bras notre patrimoine. Conséquemment, et en nous appuyant sur la thématique de notre Fête nationale qui fait, cette année, l’apologie des expressions québécoises, nous croyons qu’il est grand temps que « les bottines suivent les babines ».
Christian Robitaille | Président du conseil d’administration de CCNCA
Nicolas Roumier | Président de la table de concertation patrimoine-histoire de CCNCA
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